QUELQUES QUESTIONS À VOUS POSER
Avant d'aborder le problème avec votre patient, posez-vous quelques questions préparatoires... la motivation de votre patient à arrêter commence toujours par un médecin généraliste motivé aussi !
- « Quelle(s) est/sont la/les benzodiazépine(s) que je prescris, à quelle dose, à quelle fréquence et depuis quand ? »
- « Quelle était l'indication initiale ? »
- « Quels sont les arguments ou les indications actuelles qui justifient ce traitement ? »
- « Quelle information à l'usage des médicaments a reçue le patient au moment de l'instauration de ce médicament ? Les avantages et inconvénients de ce médicament ont-ils été rediscutés ultérieurement ? »
- « Ai-je déjà fait une tentative de sevrage avec ce patient et, le cas échéant, pour quelles raisons a-t-elle échoué ? »
- « Quelles sont mes raisons, en ma qualité de médecin généraliste, pour ne pas aborder le problème ? »
OSEZ ABORDER LE PROBLÈME
La prise chronique de BZD est un comportement qui dépend de la vigilance et de la motivation du médecin à aborder le problème. Les patients ont rarement conscience des inconvénients liés à cette habitude, qu'ils ne considèrent souvent pas comme délétère ou comme une addiction.
Le simple fait d'aborder le problème et d'informer votre patient est déjà lié à un taux de réussite relativement élevé (et souvent sous-estimé) ! Dans ce cadre, votre confiance et votre conviction du bien-fondé et de la faisabilité du sevrage des BZD pour votre patient sont importantes. Si vous en doutez vous-même ou si votre attitude est ambiguë, vous diminuez considérablement les chances de réussite. Votre vigilance et vos initiatives font la différence.
MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE… SEVRER
Motiver votre patient à arrêter la prise chronique des BZD n'est pas évident et exige de vous patience et motivation.
Pour de nombreuses raisons, il vaut mieux prévenir la prise chronique des BZD que de devoir l'arrêter. Ainsi, une prescription adéquate et rationnelle des BZD repose toujours sur deux paramètres :
- Le choix adéquat des situations dans lesquelles il est pertinent de compléter la prise en charge par un traitement médicamenteux. Ce choix est important, parce que les BZD ne favorisent pas le « processus de guérison » de votre patient.
- La prescription rationnelle de psychotropes nécessite que vous informiez suffisamment le patient des avantages et des inconvénients de ce type de médicaments et que vous conveniez d'emblée de la durée du traitement médicamenteux.
BZD : UNE ADDICTION PARTICULIÈRE
Motiver les patients à adopter un comportement bénéfique pour leur santé représente toujours un défi. Contrairement à la motivation de votre patient à arrêter de fumer, à avoir une activité physique ou à avoir une alimentation saine, un patient qui prend des BZD de manière chronique se présentera rarement à vous avec une plainte que vous pourrez clairement lier à la prise des BZD.
Les exceptions à ce niveau peuvent être : des chutes, des problème de mémoire et de concentration et de la fatigue. Quand votre patient qui fait un usage chronique de BZD vous consulte avec des problèmes de ce type, vous pouvez saisir l’occasion pour évoquer avec lui sa consommation chronique de BZD. Tout comme, par exemple, des symptômes d'essoufflement vous permettent d'aborder le problème du tabagisme chronique.
Cela veut dire qu’aborder la question du sevrage des BZD demande de votre part, en tant que médecin, de l’engagement, de la motivation et du temps. L'initiative à ce niveau vient rarement des patients. Dans les problématiques liées aux addictions, il est rare que les patients demandent d’eux-mêmes qu'on les aide à arrêter. Dans ce genre de problématique, l'initiative vient le plus souvent de l'extérieur.
EST-CE VOTRE RÔLE ? OUI !
En tant que médecin généraliste, vous êtes un thérapeute qui s'engage à prendre en charge les symptômes avec lesquels les patients se présentent chez vous et généralement, ce sont les patients qui énoncent eux-mêmes leurs problématiques.
Quand vous abordez le problème de la prise chronique de BZD, il est donc possible que vous ayez le sentiment de créer un problème là où le patient n’en voit pas. Cela pourrait, à tort, vous faire penser que ce que vous faites est contraire à votre rôle de thérapeute.
Il y a pourtant de nombreux bénéfices potentiels à ouvrir la discussion avec votre patient autour du sevrage des BZD.
Qui plus est, si les patients n'évoquent pas eux-mêmes la question, cela ne signifie pas pour autant qu'ils ne soient pas désireux de les arrêter.
BZD = TABAGISME ?
Les patients n'ont souvent pas conscience des inconvénients liés à la prise chronique de BZD et la considèrent donc rarement comme un problème. À ce niveau, la prise de BZD est très différente, par exemple, du tabagisme. De ce fait, aborder le sujet du sevrage des BZD et aborder celui de l'arrêt du tabagisme sont deux choses très différentes.
Grâce aux nombreuses campagnes de prévention, la population en général sait que fumer est nocif pour la santé. Dans le cas des BZD, il en va tout autrement. Vous ne pouvez pas partir du principe que les patients sont conscients des effets négatifs des somnifères et des calmants : ici, en tant que médecin généraliste, vous pouvez donc déjà faire une différence.
Le fait qu'un patient n'aborde pas de lui-même la problématique du sevrage fait que vous ne pouvez pas spontanément savoir où en est sa motivation. Il est fort probable que le patient n'ait tout simplement pas conscience que la prise chronique des BZD est une habitude problématique (ou même une addiction), nocive pour sa santé.
ET SI LE PATIENT A DÉJÀ tenté D’ARRÊTER ?
Retenez aussi qu'une tentative d'arrêter les BZD qui a échoué ne fournit que peu d'indications sur la motivation ou les chances de réussite d'une nouvelle tentative de sevrage chez un patient. Et l'inverse est même parfois vrai car, dans ce cas, le patient a cette fois bien conscience de son « problème ». Votre accompagnement vers l'arrêt progressif peut faire la différence. Chez ces patients, vos interventions motivationnelles seront importantes.
UN OUTIL UTILE : LA LETTRE « STOP »
Grâce à des interventions comme la LETTRE STOP INFORMATION, vous pouvez contacter et informer simultanément les patients pour lesquels vous pensez que le sevrage des BZD serait indiqué. Cette intervention connaît un taux de succès considérable !
CONSEILS DE COMMUNICATION SUR LA MANIÈRE D’ABORDER LE PROBLÈME
Mentionner à votre patient qu'il a peut-être l'impression que vous lui « ajoutez un problème » que lui ne perçoit pas, peut créer l'espace nécessaire pour aborder le sujet de sa prise chronique de BZD. Peu de patients se montrent réticents négatifs face aux interventions suivantes :
- « Cela va peut-être vous étonner, mais j'aimerais vous parler des somnifères/calmants que vous prenez. Etes-vous d’accord que je vous explique pourquoi cela me paraît important ? »
- « Si je veux vous en parler, c'est parce que je pense que vous n'avez pas vu le problème s'installer. »
- « J'aimerais reparler avec vous des somnifères/calmants. Cela peut vous étonner étant donné que vous les prenez depuis longtemps déjà… mais cela me paraît suffisamment important pour que nous y revenions. Etes-vous d’accord que nous fassions ça maintenant ?
Quand vous abordez ce problème, vous le faites dans le cadre de votre vigilance en tant que médecin. Cela vaut la peine de l'expliquer à votre patient. Une attitude privilégiant la collaboration et faisant place à l’empathie reste l’idéal en médecine générale. Exemple : « En fait, je m'inquiète au sujet des somnifères/calmants que vous prenez déjà depuis un certain temps. Je suppose que cela vous convient, sinon vous ne les prendriez plus… Mais il faut que je vous explique pourquoi ce n’est pas sans conséquences. C’est ok pour vous que de prendre un moment pour en parler maintenant ? »
MIEUX VAUT EXPLORER QUE RÉFUTER LES « ARGUMENTS TYPES » DE VOS PATIENTS
L'exploration empathique de la résistance ou de la vision de votre patient ne signifie pas que vous êtes d'accord avec ses contre-arguments. Il est, en effet, beaucoup plus adéquat d'explorer ces « contre-arguments » que de les réfuter ou de conclure que, chez ce patient, l'arrêt n'est pas une option : explorer, c'est commencer à traiter.
L'exploration du vécu du patient doit se faire de manière acceptable et empathique, surtout en ce qui concerne la résistance à l'arrêt. Vous explorez ainsi, avec votre patient, ce que représente, pour lui, la prise chronique de BZD et vous identifier les obstacles au sevrage.
Vous pouvez aussi anticiper les arguments-types du patient à l'aide de la fiche patient caractéristiques de la prise chronique de BZD. Cette fiche replace toute une série d'arguments-types dans le contexte de la prise de BZD.
EXEMPLES D’ARGUMENTS TYPES… ET DE RÉPONSES POSSIBLES
Argument type 1 : « Vous savez, ça me convient très bien comme ça docteur… ça ne peut pas être mauvais quand même. »
Réponses possibles : « J’entends bien que la situation vous semble confortable. Mon rôle est de vous informer sur un risque important pour votre santé qui peut se cacher derrière ce confort. Si ce risque est bien réel, vous m’en voudriez de ne pas vous avoir alerté et vous auriez bien raison.
« Oui, Vous avez le sentiment que cela vous convient ? Est-ce que vous seriez tout de même d’accord pour que nous passions en revue les effets indésirables dont je vous parle ? Comme cela, nous pourrions en discuter sur une base concrète. »
Argument type 2 : « Chez moi, il fait encore de l'effet, car si je ne le prends pas, je ne peux pas dormir ! »
Réponses possibles : « Oui, bien sûr, je vous crois quand vous dites que sans votre comprimé, vous avez des difficultés à vous endormir. S’endormir, c’est une chose, bien dormir s’en est une autre. Ce que les études récentes montrent, c’est que, avec ces médicaments, la qualité du sommeil est moins bonne. Bref, il est moins profond, on récupère moins bien, donc on est plus nerveux (anxieux) la journée et le soir, il faut absolument un comprimé pour s’endormir. Ce cercle vicieux vous évoque quelque chose ?»
« Peut-être, avez-vous l’impression que ces effets indésirables ne vous concernent pas…A votre avis, pourquoi est-ce que je mets de l’énergie pour vous en parler ? »
Argument type 3 : « Je les prends depuis déjà tellement longtemps… »
Réponse possible : « Oui, ça peut paraître étonnant que j’attire votre attention sur un traitement que vous prenez depuis si longtemps déjà … Et justement après tout ce temps, on pourrait presque oublier qu'il s'agit de médicaments... et ce n’est pas anodin. »
Argument type 4 : « Mon médecin précédent m'a dit que je ne devais jamais les arrêter… »
Réponses possibles : « Je sais que cela paraît un peu abhérant que je me préoccupe de ces médicaments alors que votre médecin précédent semblait avoir toute confiance en eux... Le fait est que la médecine ne cesse d’évoluer et là, nous avons de nouvelles informations que nous ne pouvons pas laisser de côté. Je vous en dis un peu plus ? »
« Est-ce que vous pensez que, par là, votre médecin précédent voulait vous dire de ne jamais arrêter ces médicaments du jour au lendemain ? Si c’est le cas, c'est tout à fait vrai ! D’ailleurs, si nous décidons ensemble d'arrêter ce traitement, il faudrait diminuer vos prises progressivement et je vous accompagnerai dans ce processus en suivant les choses de près... Et vous, où en êtes-vous avec ce traitement ? Avez-vous déjà pensé à le diminuer, voire à l’arrêter ? »